Solennité du Christ-Roi B
A l’heure de la passion et devant le représentant du pouvoir politique, Jésus est proclamé roi. L’évangéliste Jean emploie abondamment dans le récit de la passion ce terme pratiquement inusité jusque-là. Le procès et la condamnation du « roi des juifs » deviennent le procès et la condamnation des pouvoirs de ce monde. La force dramatique du récit de la passion chez Jean met puissamment en relief ce renversement : ceux qui jugent sont jugés dans leur propre jugement. Ce roi de carnaval et de dérision qu’est Jésus à l’heure de la passion devient là précisément le roi universel, le souverain sur toute la création. En cette heure-là, « l’Heure » de Jésus, tous les pouvoirs de ce monde, le politique (Pilate), le populisme (la foule déchaînée) et le religieux (le haut clergé), révèlent leur néant sans fond.
A Pilate qui lui demande s’il est « roi », Jésus commence par le renvoyer à lui-même : « « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’ont dit ? » « Ta nation et les chefs des prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » réplique le gouverneur avec irritation. Vient alors et alors seulement la réponse de Jésus. Elle est en deux temps. Négativement d’abord, « mon royaume n’est pas de ce monde »; puis positivement ensuite, « je suis venu pour ceci : rendre témoignage à la vérité ».
Le Royaume que le Christ vient inaugurer en ce monde et pour ce monde n’est pas de ce monde, c’est-à-dire qu’il ne relève en aucune façon de cette manipulation par laquelle les hommes asservissent l’univers au pouvoir du péché. Dans son beau roman « un animal doué de raison », Robert Merle faisait dire aux dauphins qui ont appris le langage humain : « l’homme n’est pas bon… Il ment et il tue. »
Le Royaume du Christ s’établit à l’opposé de celui des hommes imposé par la brutalité et la tromperie. Rien n’a jamais été plus vulnérable ici-bas que cette « Heure » où Jésus dans sa passion fait advenir en ce monde son Royaume. Et les puissances de ce monde viennent depuis se briser devant cette douceur insoutenable pour les violents et les orgueilleux. Depuis cette « Heure » là, les royaumes de ce monde sont désormais en procès jusqu’à la fin du monde tandis que le Royaume du Christ est en cours d’enfantement ainsi que nous le laisse entendre les paraboles du Royaume. Il est comme une semence qui dort sous la neige d’hiver, comme un levain dans la pâte, présent comme l’arbre est déjà dans la graine. Et il grandit, invinciblement.
Qu’ils sont dérisoires les symboles des pouvoirs terrestres et tous leurs comportements quand ils s’aveuglent sur eux-mêmes ! L’affrontement de Jésus et de Pilate n’est pas terminé ; il se poursuivra jusqu’à la fin des temps parce que le combat de la vérité habite tous les temps. En ce dimanche qui est le dernier de l’année liturgique, nous sommes invités à porter un regard renouvelé sur toute l’histoire : nous y voyons que les royaumes de la terre sont fragiles et les civilisations mortelles.
Mais nous comprenons aussi qu’ils sont le lieu où nous devons vivre. Le message de l’Evangile ne nous fait pas mépriser l’autorité, l’exercice de la raison et le débat, la technique, la culture d’aujourd’hui. Il n’invite pas à imaginer un monde irréel, où les rapports humains seraient purs de toute passion, où la foi ne serait qu’une extase radieuse et l’Eglise une société parfaite. Pilate sera toujours là, avec les foules déchaînées à sa porte, pour nous rappeler que le pouvoir du monde est redoutable.
Mais Jésus est définitivement là pour nous dire que la vérité est appelée à régner, qu’il importe dès maintenant de rendre vrai tout rapport entre les hommes, jusqu’à transformer radicalement chacun de nos pouvoirs. La vérité est que nous ne sommes pas faits pour l’engluement dans la possession, mais pour le don dans le partage. Rien n’est reçu qui ne soit donné, rien n’existe pour soi sinon dans l’autre et pour l’autre, rien ne tient sinon dans l’amour, la pauvreté est notre richesse et la vulnérabilité notre force. C’est là ce que le Fils révèle du Père et c’est par-là qu’il rend « témoignage à la Vérité ». Oui, Le Christ est roi parce qu’il donne à chacun de ceux qui le lui demandent la force de lutter contre le mal qui défigure l’humanité.
Avec l’aimable autorisation de http://www.kerit.be