Fête du Christ Roi – année B – 22 novembre 2009 – Evangile de Jean 18, 33 – 37
La Vérité crucifiée
Grande solennité en ce dernier dimanche de l’année liturgique ! Le nouveau-né pauvre que nous avons accueilli à Noel, le misérable prisonnier qui a comparu devant Pilate, le crucifié du Golgotha, nous proclamons à la face du monde qu’il est LE ROI. Certes ce titre n’a plus guère aujourd’hui que valeur honorifique mais il signifie que Jésus a reçu tout pouvoir: il a inauguré le Royaume de Dieu sur terre, royaume éternel et universel comme le prophétisait le songe du prophète Daniel (déjà donné dimanche passé : 1ère lecture).
L’évangile du jour est repris de S. Jean qui a su raconter la Passion de Jésus comme son couronnement royal, sa glorification. Je propose de proclamer les deux premières scènes du procès devant Pilate afin de comprendre la dramaturgie et, à la fin, d’ajouter la sortie de Pilate pour en saisir le sens.
On avait emmené Jésus de chez Caïphe au prétoire (résidence du gouverneur) . C’était le point du jour.
Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas pour ne pas se souiller et pouvoir manger la pâque.
Pilate vint les trouver à l’extérieur:
- Quelle accusation portez-vous contre cet homme ?
- Si cet individu n’avait pas fait le mal, te l’aurions-nous livré ?
- Prenez-le vous-mêmes et jugez-le vous-mêmes suivant votre loi.
- Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort !
C’est ainsi que devait s’accomplir la parole par laquelle Jésus avait signifié de quelle mort il devait mourir.
Pilate rentra dans le prétoire; il appelle Jésus:
– Es-tu le roi des Juifs ?
– Dis-tu cela de toi-même ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ?
– Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation, les grands prêtres t’ont livré à moi: qu’as-tu fait ?
– Ma royauté n’est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, mes gardes auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais ma royauté, maintenant, n’est pas d’ici.
– Tu es donc roi ?
– Tu le dis que je suis roi. Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.
– Bah ! …Qu’est-ce que la vérité ?
Sur ce mot Pilate sortit trouver les Juifs:
– Pour ma part je ne trouve contre lui aucun chef d’accusation. Il est d’usage à Pâque que je relâche un
prisonnier. Voulez-vous que je relâche le roi des Juifs ?
Ils se mirent à crier:
– Non, pas celui-là mais Barabbas – qui était un brigand.
Dehors une bande excitée veut arracher la condamnation à mort du prisonnier. Dedans Jésus ligoté est avec ses gardiens. Pilate est donc obligé d’aller de l’un aux autres, de sortir puis d’entrer. Sept scènes ainsi se succèdent: quelle en sera l’issue ? Jean enlève tout suspense: Jésus ne sera pas lynché par ses compatriotes mais mis en croix par les Romains comme il l’avait annoncé: » Lorsque je serai élevé de terre,… » (12, 32) – en jouant sur les deux sens du mot: « élevé » entre ciel et terre sur la croix mais en même temps ELEVE dans la Gloire.
Pilate ( préfet de Judée de 26 à 36 – connu par les historiens de l’époque pour sa violence et sa haine des Juifs) est perplexe: si cet homme était dangereux, les gens de sa police l’auraient déjà arrêté, s’il s’agit d’outrage à la loi juive, que ces Juifs traitent l’affaire entre eux. Vite il comprend: ils veulent sa mort ! Pour quelle raison ?
Pilate connaît l’espérance juive en un certain « messie », un roi qui serait oint par Dieu pour prendre le pouvoir. Il traduit à sa façon: » Tu es roi ? ». Jésus lui donne double réponse: ce que n’est pas sa royauté et ce qu’elle est.
LE ROYAUME DE JESUS : TEMOIGNAGE DE LA VERITE
» Ma royauté n’est pas de ce monde… »: attention ! cela ne signifie pas qu’elle s’exerce dans l’au-delà, ni qu’elle soit reportée à l’avenir ni cantonnée dans une spiritualité intérieure. Jésus n’est pas un chef politique, un leader nationaliste puisqu’il s’est laissé arrêter sans défense. Mais son royaume s’inaugure et se déploie bien dans notre histoire, sur notre terre ! La foi n’est pas une affaire de piété cachée mais d’adhésion libre.
Puis il explique positivement par une déclaration majeure de l’évangile: » Je suis né et je suis venu dans le monde pour témoigner de la vérité ». Déjà dans son prologue, Jean écrivait: » Le Verbe, le Logos, était la vraie Lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme » (1, 9). Car le monde gît dans les ténèbres, l’homme se heurte aux murs de sa prison: qui suis-je ? Où vais-je ? Y a-t-il un Dieu ? Et le mal ? Pourquoi cette faiblesse, ce mal que nous ne cessons de commettre ? Pourquoi tant d’horreurs ?…
Certes la loi, la philosophie, la sagesse éclairent notre nuit, elles nous livrent des indications précieuses, nous indiquent un chemin…Mais que notre ignorance et notre lâcheté sont immenses ! Que d’occasions de chutes ! Que de coins obscurs ! Aucun code, aucun art, aucune science ne peut nous sortir du marasme.
Mais voici la Bonne Nouvelle: Jésus est le Fils. Il n’est pas seulement le porte-parole de Dieu: IL EST SA PAROLE. Il ne montre pas seulement le chemin de la morale: il offre sa vie pour nous offrir le pardon et nous donner la Vie divine. Il vient nous libérer, il nous introduit dans le royaume de la VERITE et il osera dire: » Je suis le chemin, la Vérité et la Vie » (14, 6).
Ce royaume n’est pas délimité par des frontières: il est offert à quiconque « est de la vérité », c.à.d. à tout homme qui se veut fidèle à son origine, qui souffre de ses limites, qui cherche vraiment le dévoilement du mystère, qui commet des péchés mais sans s’y résigner et sans espoir de les surmonter par lui-même.
Celui-là « écoute ma voix » dit Jésus, c.à.d. il perçoit dans l’évangile un ton inouï, il y rencontre non seulement un beau message mais QUELQU’UN, un Dieu qui se donne pour le combler de son amour ! il y entend un appel à sortir de sa nuit et à suivre ce Jésus. Alors, comme Nicodème, « il fait la Vérité et il vient à la lumière » ( 3, 21).
LE PÉCHÉ : REFUSER LA LUMIERE
A ce moment précis se joue le drame: au lieu de poursuivre le dialogue, de demander à son prisonnier un éclaircissement, Pilate, arrogant, se détourne de Jésus en lançant ces mots: » Qu’est-ce que la vérité ? ».
Le préfet romain a beaucoup vécu, il connaît l’humanité, il a commandé des troupes, il a de la culture, il a lu des livres. Et il en est arrivé à douter de tout: la vérité n’est qu’un rêve, un mirage. Les idées et les théories s’affrontent dans un désaccord permanent; la lâcheté, l’impureté, la violence sont telles que l’on ne peut espérer rejoindre la lumière. Que chacun se débrouille comme il peut. A chacun sa vérité. La vie est un théâtre où gagnent les plus malins et les plus forts. Et ce n’est pas ce pauvre type de Galiléen ligoté qui va m’apprendre quelque chose.
Pilate vient de rater son existence. Il pouvait, pour la première fois de sa vie, entrevoir la lumière, sortir de son scepticisme, découvrir le salut, le pardon, le vrai bonheur, la joie de Dieu.
Et parce qu’il se croit assez malin pour résoudre tous les problèmes ou parce qu’il se résigne au destin, il se détourne de Jésus et se dirige vers la foule hurlante. A trois reprises, il va lui déclarer qu’il ne voit aucune raison d’exécuter Jésus, ce non-violent, un illuminé, un exalté religieux, un utopiste qui croit encore à l’idéal de la paix universelle. Mais sous la pression des grands prêtres, Pilate craque: il signera l’acte de condamnation à mort.
Lorsque l’on ne veut pas connaître la vérité, que l’on refuse d’accueillir la Lumière, on est capable de commettre sciemment une erreur judiciaire. On hurle avec les loups et la vie d’un homme ne compte plus. Là où l’on refuse Jésus, on piétine sa conscience et l’injustice déferle.
Condamné à mort, Jésus sera livré aux soldats et ceux-ci, raconte S. Jean, vont se livrer à un simulacre de couronnement. Ah ce type se prétend roi ? eh bien nous allons jouer au couronnement: On doit le baigner ? On le flagelle…et il baigne ainsi dans son sang Une couronne ? Oui mais avec des épines … On le revêt d’un manteau rouge d’officier – qui évoque le manteau de pourpre impérial Défiler devant lui pour les révérences ?..- oui mais à tour de rôle on le gifle et on le frappe Enfin le présenter au peuple pour l’ovation ? Pilate crie: » Voici l’homme »…Et le peuple hurle : » Crucifie-le ! Crucifie-le ! »
Mais c’est au sein de cette affreuse mascarade que brille LA VERITE: Jésus se donne pour nous pardonner et nous vivifier. Avec St Jean et St Pierre, avec St François et St Dominique, avec Fra Angelico et Jean-Sébastien Bach, avec le chœur universel, nous chantons à pleine voix le cantique de l’Apocalypse (1, 5-8 = 2ème lecture) :
» A Celui qui nous aime,
Qui nous a délivrés de nos péchés par son sang,
Qui a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père,
À Lui GLOIRE ET PUISSANCE POUR LES SIECLES DES SIECLES. AMEN !
IL VIENT ! …et tous les hommes le verront, même ceux qui l’ont transpercé… »
Nous te rendons grâce, Seigneur, pour cette année vécue avec Toi.
R. D, dominicain